Art. 37 : La cuisine médiévale
La cuisine médiévale fait partie de notre patrimoine culturel européen.
En effet, des livres de cuisine sont parus dans toute l'Europe, entre le
13e et le 16e siècle.
Du Danemark à l'Italie, de l'Espagne
à l'Angleterre, on retrouve, au-delà de petites différences régionales, des
recettes de cuisine communes à toute l'Europe médiévale.
Les cuisiniers
utilisent des techniques culinaires communes, les élites européennes ont des
goûts pour des saveurs voisines, les médecins ont des discours communs en
matière de diététique. Pendant plus de 4 siècles, on retrouve des bases communes
qui permettent de parler de cuisine médiévale européenne.
Malheureusement, à partir du 17e siècle, les partisans d'une nouvelle
cuisine ont déclaré que tout ce qui précédait ne valait rien. C'est pourquoi la
cuisine médiévale a été oubliée pendant plusieurs siècles.
Les romains utilisaient la liaison à la farine et cet usage a été réhabilité à
partir de la fin du 16e siècle. Mais la cuisine médiévale préférait
utiliser le pain pour lier les sauces. Il était grillé, trempé dans du bouillon,
pilé au mortier (mais nos mixeurs modernes font aussi bien l'affaire et plus
rapidement !) et en général passé à l'étamine. Cette liaison au pain était
parfois remplacée par une liaison à la poudre d'amandes.
Avantages : la liaison au pain colore les sauces, elle donne, comme la liaison à
l'amande, un velouté différent sous la langue et développe les saveurs acidulées
et parfumées (alors que la farine les étouffe).
En dehors des cornichons, de la moutarde, de l'escabèche ou de la sauce diable,
on a souvent perdu le goût des saveurs acidulées.
Des cuisiniers ont cependant redécouvert l'intérêt d'un filet de citron dans les sauces (Ducasse...). A l'époque médiévale, la plupart des sauces qui accompagnent les viandes (ou volailles ou poissons) grillées sont très acides. Les viandes (ou volailles ou poissons) en sauce sont acidulées par un mélange vin + vinaigre, vin + verjus (jus de raisin vert) ou vin + vinaigre + verjus. Certaines sauces sont rendues aigre-douces avec du sucre, du miel.
La
cuisine médiévale utilise les épices en grande quantité, avant tout
parce que les épices sont réputées diététiques (elles favorisent la
digestion), mais aussi parce qu'elles sont produit de luxe. Les épices
sont sèches et réduites en poudre. Principales épices utilisées : en
priorité, le gingembre et la cannelle, puis le clou de girofle (en
poudre), la noix de muscade, le macis, le safran (pour colorer), la
maniguette (ou graine de paradis), le poivre, mais aussi la cardamome,
le galanga (garingal), le poivre long.
La plupart du temps, elles sont délayées dans du vin,
du vinaigre, du verjus, ou du bouillon (parfois passées à l'étamine)
avant d'être mélangées au reste du plat vers la fin de la cuisson (pour
garder les parfums).
Les recettes médiévales sont, en général, présentées sans proportions
d'ingrédients. Et si les livres de cuisine de l'époque médiévale recommandent
une utilisation des épices adaptée au goût des convives, les quantités utilisées
sont souvent nettement supérieures à nos pratiques actuelles.
Exemple : pour
2 kg de viande ou volaille, on met facilement 1/4 à 1 cuillère à café rase de
chaque épice, gingembre, cannelle, etc ... et jusqu'à 3 cuillères à café rases
d'épices au total. Les proportions varient selon les saveurs
recherchées.
Attention : le poivre est toujours utilisé en petites
quantités; piment et paprika sont inconnus en Europe.
Vous préparez le bouillon avec de la poule ou du boeuf cuit à l'eau, le plus
simplement possible, avec ou sans légumes (poireaux, navets, carottes, oignons).
Surtout pas de bouillon du commerce, déjà épicé.
Les viandes ou volailles de la cuisine médiévale sont souvent blanchies (couvrir
d'eau froide, puis porter à eau frémissante quelques minutes et égoutter).
Ensuite elles sont saisies au gril ou à la broche, avant d'être cuites en sauce.
Elles peuvent être également seulement rôties et accompagnées d'une sauce. Si la
viande de boeuf, moins appréciée à l'époque médiévale, était certainement plus
dure qu'aujourd'hui, le gibier, le mouton ou la volaille (chapon en particulier)
avaient des tendretés probablement voisines des produits d'aujourd'hui.
L'huile d'olive, le lard et le saindoux sont très utilisés. Le beurre est
quasiment absent des recettes de cuisine médiévale : il est réservé aux paysans
et ne passe dans les recettes gastronomiques qu'à partir de la Renaissance. Mais
certaines régions comme la Bretagne ou la Flandre cuisinent déjà au
beurre.
Le lard, le saindoux sont interdits pendant les jours maigres
(jours où l'église interdit de manger de la viande et des produits d'origine
animale, soit pendant environ 150 j par an). Ils sont alors remplacés par
l'huile d'olive (et parfois par le beurre). L'huile d'olive est appelée
simplement "huile" dans les recettes. Maître Chiquart en commande un tonneau de
10 sommes (520 l) pour un banquet !
Au Moyen Age, les poissons, quand ils
ne sont pas cuits à l'eau, sont donc généralement cuisinés ou frits avec de
l'huile d'olive. Il en est de même pour tout ce qui est appelé "viande et potage
de carême" : légumes ou tartes. L'huile d'arachide est inconnue à l'époque
médiévale.
On ne fait pas une distinction nette entre salé et sucré à l'époque médiévale.
Tartes, tourtes et pâtés sont la spécialité commune du cuisinier (pour les
viandes) et du pâtissier (pour la croûte et parce qu'il possède le four que n'a
pas toujours le cuisinier). Les gâteaux sont alors la spécialité de l'oubloyer.
On ne connait pas encore la pâte feuilletée à cette époque.
Les pâtés
permettent de développer toute la créativité architecturale du cuisinier
médiéval : la cuisine médiévale devient spectacle. Certes, l'enveloppe de pâte
permet de conserver, en milieu clos, les sucs et les parfums des viandes. Mais
elle est aussi souvent utilisée comme "pochette surprise" qui cache aux yeux des
convives des animaux entiers, parfois plusieurs variétés d'oiseaux. La pâte
présente des formes capables de susciter l'admiration des convives.
La plupart des techniques culinaires médiévales sont communes à toute l'Europe,
sauf 2 spécificités catalanes :
- Le sofregit : faire revenir un
aliment dans l'huile d'olive ou du lard, lentement, pendant un certain temps. On
y rajoute ensuite de nombreux ingrédients : oignons, herbes aromatiques, épices,
légumes en julienne.
- La picada : c'est un mode de liaison des
sauces. On prend des produits épaississants comme noix, noisettes, amandes, pain
sec ou oeufs durs. Pour donner de la saveur, on rajoute des herbes aromatiques
ou des épices, des foies de volaille ... Ensuite, on pile pour faire une pâte
consistante, qui sera délayée dans le jus de cuisson de la viande ou dans du
bouillon.
On obtient ainsi une sauce, souvent aigre-douce avec ajout de
sucre, de vinaigre, verjus ou graines de grenade.
Les couleurs sont particulièrement mises en valeur par la cuisine médiévale.
Les
indications de couleurs figurent souvent dans les recettes : le civé doit être
brun, telle sauce doit être verte; une recette médiévale qui a survécu jusqu'à
nos jours ne s'appelle-t-elle pas le blanc manger !
Les légumes consommés à l'époque médiévale :
poireau, navet, choux, bette, épinard, gourde (courge européenne), cresson,
toutes sortes de salades et d' herbes potagères,
châtaigne. La carotte est blanche ou jaune. Elle se rapproche du panais.
Les
légumineuses sont très employées : pois, pois chiche, fève, lentille, fasole et
vesce. Le haricot, venant d'Amérique, n'est pas encore connu, mais un haricot
européen est consommé (haricot dolique, mangé sec) : la mongette, appelée aussi
haricot cornille ou haricot dall'occhio, actuellement surtout cultivée en
Italie.
On connaît actuellement plus de recettes médiévales utilisant des
épices, que de recettes avec des plantes aromatiques (contrairement à la cuisine
romaine antique très friande de plantes aromatiques). Mais on sait que de très
nombreuses bonnes herbes sont utilisées
couramment : aneth, anis, basilic, ciboule, cumin, coriandre, livèche, menthe,
origan, roquette,
persil, romarin, sarriette ou sauge, etc...
On emploie aussi des
plantes aromatiques un peu oubliées actuellement comme l' aurone, hysope, rue, sénevé
(les graines de moutarde)...
En revanche, l'estragon et la ciboulette sont
encore inconnues en France (mais l'estragon semble déjà connu en Espagne) et le
thym n'est jamais utilisé en cuisine médiévale bien que cette plante aromatique
pousse à l'état naturel dans toute l'Europe du Sud depuis la nuit des temps (le
cuisinier médiéval préfère le serpolet). Le bouquet thym + laurier est un
mélange récent !
Les céréales sont également utilisées : blé, épeautre,
millet, avoine, riz (provenant d'Asie, d'Espagne ou d'Italie, c'est un produit
de luxe).
A l'époque médiévale, légumes et viande (volailles, poissons)
sont présentés séparément au cours du repas. En dehors de la choucroute,
spécialité d'Alsace, on ne trouve pas encore de recettes viande ou volailles en
sauce avec légumes, comme le cassoulet ou le petit salé aux lentilles.